Quand le talent ne suffit plus

élève découvre talent suffit pas

C’est une expression que j’ai entendue plus d’une fois dans la bouche de mes enfants ou de mes élèves : passer une évaluation « au talent », ou « au talent pur ». Il y a du respect ou de l’admiration dans leur voix quand ils l’emploient. Par exemple, cela donne « je suis allée à mon éval de physique au talent pur », ou bien « j’ai eu 12 en géo, au talent pur ». Il y a parfois aussi de la fanfaronnade…. Je ne sais pas si vos enfants utilisent cette expression aussi? Je me suis dit que cela valait le coup de voir ce qui se cache derrière, car ce n’est pas anodin. Surtout le jour où ils découvrent que le talent, ça ne suffit pas, ou en tout cas ça ne suffit plus…

Qu’entendent-ils par « talent pur »?

Cette expression veut dire que la personne (l’élève en l’occurrence) compte utiliser exclusivement son intelligence, sans avoir révisé ou même appris sa leçon. Comme si l’intelligence seule allait suffire à réussir l’évaluation, qu’il s’agisse de maths ou d’Histoire-géo. Comme si c’était un gage de grande intelligence que d’avoir une bonne note en ayant utilisé uniquement celle-ci, sans travailler. Comme si faire des exercices, apprendre sa leçon, s’entraîner… revenait à faire quelque chose qui dénaturerait l’intelligence « pure ».

Le talent pur ne suffit pas, en tout cas pas toujours, à avoir de bons résultats. Un élève peut s’exclamer : « j’ai eu 14 au talent » mais aussi, hélas : « j’ai eu 9 au talent, si j’avais révisé j’aurais eu plus ! ». Mais alors pourquoi diable n’ont-ils pas révisé ?!
J’y vois deux raisons.

Première raison : le manque de motivation et l’excuse pour ne pas travailler

La plus évidente est le manque d’envie ou de motivation pour réviser. Le fait d’arguer que c’est leur intelligence qui va être évaluée leur donne alors une excuse : cette évaluation va leur permettre de voir exactement ce qu’ils valent, comme si le fait de réviser allait changer la réalité.
On retrouve ici la confusion, fréquente, entre ce que vaut un devoir (par exemple 12/20) et ce que vaut l’élève qui a fait le devoir. Je le dis régulièrement à mes élèves : « tu n’es pas 5 en maths, tu as eu 5 en maths au devoir que tu as fait le 16 septembre entre 10h et 11h avec Mme Truc et qui portait sur les probabilités« . Ce n’est pas du tout la même chose! Je pense qu’il est très important de rappeler régulièrement à nos enfants qu’ils ne peuvent pas être réduits à leurs notes, ni même à leur intelligence (même s’ils sont précoces et brillants dans leurs domaines de prédilection), et que leur intelligence n’est qu’une facette de leur personnalité.

Deuxième raison : la peur d’être confronté à ses limites

La deuxième raison que je vois, plus subtile, est la peur d’être confrontés à leurs limites… Si jamais ils révisent et préparent une évaluation très sérieusement, et ont une note tout juste moyenne, cela pourrait vouloir dire qu’ils ne sont peut-être pas si intelligents, finalement ? C’est plus confortable d’avoir 9 au talent, et de se dire qu’on aura de bien meilleures notes le jour où on travaillera, que d’avoir un modeste 13 en ayant beaucoup travaillé.
Seulement, avec des « si… », on peut mettre Paris en bouteille. Les élèves qui n’ont jamais appris à travailler se retrouvent fort dépourvus quand la difficulté survient, avec des notes en baisse voire parfois l’échec scolaire. Ils peuvent alors paniquer, en déduire qu’ils sont bêtes, et perdre totalement confiance en leurs capacités.

Le « talent pur » est un piège, doublé d’une illusion

L’intelligence n’est pas quelque chose de figé, que chacun de nous reçoit à la naissance et qu’il utilise ensuite tout au long de sa vie. L’intelligence est quelque chose qui se développe, qui augmente, au fur et à mesure que nous nous en servons, tout au long de notre vie.
Les enseignants et les parents le constatent : il y a des jeunes qui s’investissent dans leurs études et dont les résultats progressent. Comme s’ils avaient amélioré leurs capacités de réflexion, de mémorisation, de compréhension … à force de les solliciter.
Et les neurosciences, avec les moyens de l’imagerie médicale, sont venues confirmer cela. Il a été prouvé que lors de phases d’apprentissage, consistant par exemple à mémoriser certaines informations et à les réviser régulièrement, les connexions entre les neurones se développent. Le réseau est plus dense, car le cerveau continue à créer des neurones, et des liens entre neurones, tout au long de la vie de l’individu.
 

C’est étudier qui rend intelligent !

Pour prendre un exemple : un élève qui apprend un cours de chimie, qui le révise régulièrement, qui fait des exercices et des problèmes,… finit par l’assimiler. Il a développé des liens physiques entre certains neurones de son cerveau, il est capable d’expliquer ce cours à quelqu’un, de s’en servir dans un autre contexte, etc. Dans les années qui suivent, si cet élève assiste à un cours de chimie avec de nouvelles connaissances, il utilisera ces connaissances plus anciennes sans même s’en rendre compte.
Mais en plus, et c’est ça qui est extraordinaire, cet apprentissage de la leçon aura développé son intelligence d’une façon globale, ce qui lui permettra de mieux réussir dans les autres matières scolaires, mais aussi dans sa vie en général. Comme si son « talent pur » avait augmenté
Ce n’est pas seulement sa culture générale qui se sera développée, c’est aussi sa capacité à comprendre, à abstraire, à faire des liens entre informations,…

Un élève n’a pas un « talent pur » déterminé à un certain niveau pour toute sa vie : au contraire, il a une certaine intelligence, à un moment donné, qui ne se développera pas s’il ne s’en sert pas. Et travailler pour développer son intelligence, ce n’est pas honteux, ce n’est pas déchoir. Faire un effort pour apprendre une leçon et préparer une évaluation ne veut pas dire qu’on a une intelligence limitée. C’est juste qu’à un moment, il faut s’y mettre : que ce soit en CE2 ou en Terminale, voire pendant des études supérieures, à un moment il est nécessaire de s’investir dans ce qu’on fait et d’accepter de se confronter au fait de ne pas savoir. Ce n’est pas confortable, mais c’est le seul moyen d’exploiter et développer son intelligence.

Je prends régulièrement le temps d’expliquer à mes élèves ce que sont les états d’esprit (ou « mindset ») fixe et dynamique. 

Le talent, c’est les deux premières lignes d’un devoir… Le reste vient du travail. Tous les musiciens vous le diront !

Et quand un jeune ne sait pas travailler, c’est là que l’orthopédagogie et la gestion mentale vont l’aider.

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