Cela s’est passé l’année de ma 4ème. La professeure de mathématiques, dont je me souviens qu’elle était gentille et expliquait plutôt bien, nous rendait des interrogations. Et Magali a fondu en larmes.
Elle avait dû avoir quelque chose comme 4 /20. Cela la rendait tellement malheureuse…
C’est un souvenir qui m’a profondément marquée, et je revois et entends parfaitement la scène. Un silence de mort dans la classe, uniquement troublé par les gros sanglots de Magali, tous les élèves embêtés de la voir dans cet état (même ceux qui ne l’aimaient pas beaucoup), et la prof qui dit doucement en la regardant « Bon… On va corriger ».
Magali ne savait pas apprendre
Je ne savais pas quoi faire pour Magali. C’était une élève sérieuse, qui travaillait vraiment beaucoup, mais qui n’y arrivait pas.
Elle faisait allemand en LV1, comme moi. Elle apprenait par cœur ses sketchs d’allemand, et les récitait, les yeux braqués vers le plafond, en oubliant des mots qui donnaient tout leur sens à la phrase. Elle y passait des heures, révisait jusqu’à la porte de la salle de classe, et récitait son sketch d’une traite, en apnée… sans comprendre ce qu’elle disait. Le prof lui en faisait la remarque, mais elle ne voyait pas le problème d’avoir récité quelque chose de complètement bancal.
Un peu comme si, en français, un élève récitait : « La cigale ayant chanté tout se trouva fort dépourvue quand fut venu ».
Et ce jour-là elle pleurait devant sa copie de maths.
J’ai commencé à aider les autres, et j’aimais ça
Magali a laissé des traces dans mon parcours.
Je me sentais impuissante. Comment aurais-je pu l’aider ? Je trouvais les maths faciles, et je ne comprenais pas qu’elle ne comprenne pas. Pourtant, je faisais partie des élèves toujours prêts à expliquer la leçon aux autres. Je trouvais ça sympa, et ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que c’était aussi utile pour les autres que pour moi. Quand un élève en difficulté prend le temps de revoir une partie du cours avec un élève qui a compris et lui explique d’une façon différente de celle du prof, les deux parties sont gagnantes :
- Ceux qui n’ont pas compris bénéficient de nouvelles explications données par un de leurs pairs, avec un vocabulaire différent, des gestes, des dessins,… que le prof ne ferait pas ;
- Ceux qui ont compris sont mis à l’épreuve. La meilleure façon de s’assurer qu’on maîtrise un sujet est en effet de l’expliquer (ou de faire semblant de l’expliquer) à quelqu’un. Et ça marche encore mieux si ce quelqu’un pose des questions basiques, a besoin d’un dessin, de revenir sur une notion vue pendant le cours d’avant.
Idéalement, ce tutorat pourrait être formalisé par l’enseignant, par exemple en créant des binômes. Je sais qu’il y a des classes préparatoires aux grandes écoles qui systématisent ce tutorat. Les élèves sont en compétition, ils sont tous là pour passer peu ou prou les mêmes concours, et pourtant l’entraide fait partie des règles de fonctionnement. C’est une méthode qui fait progresser aussi les très bons élèves et leur permet d’atteindre l’excellence. On est loin du « chacun pour soi » dont beaucoup s’imaginent qu’il est la règle en prépa !
Une bonne technique pour aider nos ados
Sachant cela, c’est à nous d’inciter nos ados à profiter des heures de permanence pour travailler à quelques-uns. Je me souviens de Magali, mais aussi de Stéphanie, Elisabeth, Valérie… qui étaient super contentes quand on refaisait des exercices de maths ensemble au CDI ou en perm’. C’était de bons moments, on rigolait bien !
Je ne peux que vous encourager à recevoir chez vous 1 ou 2 camarades de votre enfant (pas plus, ce n’est pas une fête) pour réviser.
L’astuce en plus : prévoyez son gâteau préféré pour le goûter, cela fera plaisir à tout le monde au moment de faire une pause.
Comment bien apprendre ? Bien comprendre ?
Cette histoire de compréhension et d’incompréhension m’a toujours questionnée. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment, on comprend ? Comment sait-on qu’on a compris ? Ce n’est pas par hasard que je me suis formée à l’orthopédagogie, qui consiste à remédier à des difficultés d’apprentissage. Je me suis formée aussi à la remédiation en mathématiques, et j’ai mesuré à quel point certaines notions ne sont absolument pas évidentes, et méritent d’être décortiquées avec un élève.
Je sais aussi ce que c’est que de ne rien comprendre : je l’ai découvert plus tard, en école d’ingénieur. Un jour, je vous raconterai mes cours d’hydraulique ! A défaut de savoir comment dimensionner une turbine (je ne l’ai jamais compris, mais je sais maintenant pourquoi), j’ai vécu cette souffrance d’être larguée, de se sentir bête, d’avoir l’impression que le prof parle une langue étrangère.
Chaque élève est une énigme, et pendant les rendez-vous, je cherche à comprendre ce qui les bloque, ce qui les induit en erreur, ce qui les aide… Car ils sont tous capables de comprendre !
Magali ne savait pas apprendre. Elle confondait « savoir » et « connaître par cœur ». Je rencontre régulièrement des élèves dans ces situations. Le travail sur le sens est alors fondamental.
De bonnes nouvelles de Magali
Ca vous ferait plaisir de savoir ce que Magali est devenue ? Je l’ai revue des années plus tard. Elle avait eu son bac, après 1 ou 2 redoublements, et avait enchaîné avec un BTS dans les assurances. Elle est devenue gestionnaire de sinistres, et apparemment cela lui plaisait bien. Elle est amenée à travailler avec des nombres une bonne partie de la journée, ce qui veut dire qu’elle a dû finir par trouver les bonnes clefs, ou les bons enseignants !
Cela me rend optimiste. Non il n’y a pas de fatalité, tout le monde peut trouver la méthode d’apprentissage qui lui convient. Ne laissons pas nos enfants être malheureux à l’école.
